dimanche 28 décembre 2008

L'existence d'un "prolétariat bourgeois" est selon Engels le principal frein à la révolution anticapitaliste.

par Julie Amadis
28 décembre 2008
17:15

L'existence d'un "prolétariat bourgeois" est selon Engels le principal frein à la révolution anticapitaliste.
Engels observe la formoisie en germe sans comprendre qu'il s'agit d'une classe sociale :
"En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, écrit Engels à Marx en octobre 1858 et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à coté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise, et un prolétariat bourgeois. Évidemment, de la part d'une nation qui exploite l'univers entier, c'est jusqu'à un certain point logique". (Friedrich Engels, Lettre à Marx, 7 octobre 1858 *HW p. 207)

Le prolétariat bourgeois d'Engels correspond au concept de classe formoise. Ce "prolétariat bourgeois" est minoritaire :
"Mais en ce qui concerne la grande masse des travailleurs, poursuit Engels, leur degré de misère et d'insécurité est tout aussi bas aujourd'hui, sinon pire, que jamais"(F. Engels Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne p. 395 HW
p.211)

Ce "prolétariat bourgeois" de Engels inclut :
les ouvriers des grandes trade-unions qui
« … sont les organisations des secteurs industriels où ni la concurrence du travail des femmes ou des enfants ni celle des machines n'ont été jusqu'à présent en mesure de briser leur puissance organisée... Leur situation s'est, sans aucun doute, remarquablement améliorée depuis 1848. La meilleure preuve en est que depuis quinze ans, ce ne sont pas seulement leurs employeurs qui sont satisfaits d'eux, mais eux même qui sont également très contents de leurs employeurs. Ils constituent une aristocratie au sein de la classe ouvrière. Ils sont parvenus à conquérir une situation relativement confortable et, cette situation, ils l'acceptent comme définitive.(...)
Ils sont très gentils et nullement intraitables pour un capitaliste raisonnable en particulier et pour la classe capitaliste en général". (Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne, édition sociale, 1961, pp 386-400 HW p. 210)
Il faut y ajouter les intellectuels que décrit Lénine :
"Nul n'osera nier, que ce qui caractérise, d'une façon générale, les intellectuels en tant que couche sociale particulière, dans les sociétés capitalistes contemporaines, c'est justement l'individualisme, et l'inaptitude à la discipline et à l'organisation. C'est ce qui, entre autres, distingue désavantageusement cette couche sociale d'avec le prolétariat. C'est aussi ce qui explique la veulerie et l'instabilité de la gent intellectuelle, dont le prolétariat a si souvent à se ressentir. Et cette particularité des intellectuels est intimement liée aux conditions ordinaires de leur vie, à leurs conditions de gain, qui se rapprochent sous bien des rapports des conditions d'existence de la petite-bourgeoisie"(Lénine : Œuvres choisies T I, éd. De Moscou p. 377 HW p. 216 les soulignés étaient de Lénine)

Ce prolétariat bourgeois n'est autre que la formoisie, une classe exploiteuse du "formariat" formé des travailleurs non qualifiés. Ces formois ont un niveau de vie supérieur à celui des autres ouvriers. Ces ouvriers sont plus rares sur le marché du travail, ce qui leur donne une valeur plus importante.
Comme l'écrivait Henri Weber (jeune)
"cette "rareté" relative de cette force de travail, liée à son aptitude à l'organisation, lui confère une puissance sociale qu'elle fait chèrement payer au patronat." (Marxisme et conscience de classe p. 211 1975 éd. 10-18)

Ils peuvent donc monnayer leur salaire. De ce fait, ils aspirent de la plus value aux ouvriers non qualifiés - ce que ne vit pas Henri Weber-. De la même manière, Marx a expliqué que le patron d'une entreprise performante aspirait de la plus value au patron d'une entreprise moins productive.
Pour Engels, l'apparition de ce "prolétariat bourgeois" provient d'une stratégie de la bourgeoisie.
"De l'expérience chartiste, la bourgeoisie industrielle a tiré la conviction qu'elle ne parviendrait jamais à dominer politiquement et socialement la nation, autrement qu'avec l'aide de la classe ouvrière" (Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne, préface de 1892, p. 393 HW p.209).

Comme Stolypine ministre du Tsar avait peu après la tentative révolutionnaire de 1905, cherché à créer un groupe de petits propriétaires chez les paysans afin de freiner la poussée révolutionnaire en Russie; la bourgeoisie du XIX ème siècle avait fait le choix de créer "une aristocratie ouvrière".
La bourgeoisie a acheté le calme social en accordant des avantages salariaux à la formoisie.
Engels ne devine pas que ce nouveau groupe va grossir et consolider ses intérêts. Le mouvement ouvrier d'Europe de l'Ouest ne cessera tout au long du XXème siècle de trahir le formariat (travailleurs non qualifiés, exploitées à la fois par la bourgeoisie et par la formoisie). D'abord, les travailleurs formois fermeront les yeux sur l'ignominie de la colonisation et parfois soutiendront la bourgeoisie sur ce point. Quand arrive la première guerre mondiale, les syndicats se laisseront acheter par la bourgeoisie et inciteront les ouvriers à partir à la guerre... En 2008, aucun syndicat n'a pour objectif (même affiché) de combattre le capitalisme, encore moins le colonialisme (même pas de dénoncer les massacres de notre armée en Afrique), la SDIfication de notre société, le couvercle carbone.
Engels croit naïvement que l'apparition de ce groupe privilégié du prolétariat va disparaître :
"Avec l'effondrement de ce monopole, la classe ouvrière anglaise perdra cette position privilégiée. Elle se verra alignée un jour-y compris la minorité dirigeante et privilégiée- au niveau des ouvriers de l'étranger. Et c'est la raison pour laquelle le socialisme renaîtra en Angleterre." Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne p 397 HW p. 212)

Pour Engels, la cause du conservatisme ouvrier en Angleterre provient de l'augmentation du niveau de vie des ouvriers anglais.
Comme Engels nous pensons que l'existence de cette classe sociale , la formoisie (qu'il nomme bourgeoisie ouvrière) est le frein principale à la révolution et donc la meilleur garantie de la bourgeoisie pour faire perdurer le capitalisme.
Nous laisserons, en conclusion, la parole à Henri Weber (jeune - avant qu'il ne devienne sénateur socialiste). Sans comprendre le concept de formoisie, il écrivait, en contredisant l'espoir de Engels - "le socialisme renaîtra en Angleterre":
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"L'histoire du XXème siècle a largement infirmé ce pronostic optimiste. Le monopole industriel de la Grande-Bretagne a pris fin, de même que son hégémonie coloniale. L'impérialisme britannique est entré dans une période de long déclin.
Dès la fin du XIX ème siècle, les "couches inférieures du prolétariat", la masse des non-qualifiés, font irruption comme force autonome dans le champ politique.
Leur mouvement bouleverse la structure traditionnelle du syndicalisme, assurant
la prédominance des syndicats d'industrie sur les vieux syndicats de métiers.
Après la Première Guerre mondiale les privilèges de "l'aristocratie ouvrière"
sont battus en brèche.
Mais, si la perte du "monopole industriel" provoque bien une radicalisation et une restructuration réelle du mouvement ouvrier anglais, cette radicalisation ne dépasse pas les limites du trade-unionisme.
Elle engendre le parti travailliste et les sectes socialistes. Elle ne donne pas naissance à un mouvement ouvrier révolutionnaire, même dans la période d'entre les deux guerres mondiales, au plus fort de la crise économique.
L'infirmation du pronostic d'Engels souligne la fragilité de toute son "explication". Celle-ci accorde une importance décisive aux déterminations purement économiques, en négligeant l'efficience propre aux autres niveaux. Nous y reviendrons."
(Marxisme et conscience de classe p. 213 1975 éd. 10-18)

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Là, c'est Weber qui a tort : c'est lui qui n'a pas vu l'existence de la classe formoise. C'est uniquement la défaite de la haute et de la couche supérieure de la moyenne formoisie qu'il décrit. Pas la défaite de la formoisie en tant que classe : ce n'est pas le salaire unique qui a été instauré.



*les citations de Friedrich Engels proviennent du livre de Henri Weber.
On trouve la citation de Engels dans un texte de Lénine : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme : VIII. LE PARASITISME ET LA PUTREFACTION DU CAPITALISME

NB : Ce texte a été réédité le 21/03/2009 : le mot "prolétariat bourgeois" qui figure dans le texte original a été substitué dans le titre au mot "bourgeoisie prolétarienne" pour ne pas laisser supposer que cette expression de "bourgeoisie prolétarienne" aurait figuré dans le texte de F. Engels. Les guillemets qui signifiait "bourgeoisie entre guillemets" prêtaient à confusion en donnant à croire qu'elles auraient été des guillemets de citation.
Dans tous les cas, on peut constater que Engels se rapprochait du concept de "formoisie" et c'est cela qui importe !

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