dimanche 16 novembre 2008

Lois scélérates, manipulateurs bourgeois, provocateurs policiers, le cas du terroriste Auguste Vaillant.

Lois scélérates, manipulateurs bourgeois, provocateurs policiers, le cas du terroriste Auguste Vaillant.

Par Yanick Toutain

15/11/08 21:41



Le 12 décembre 1893, le Parlement bourgeois vote la première d'une série de "lois scélérates", lois destinées à mettre au pas le mouvement ouvrier renaissant.

Un texte du "Roman vrai de la III° République" signé d'Alain Sergent fait la lumière sur cette "année sanglante"



"Le 12, la Chambre en proie à la panique vote la première des lois qui resteront qualifiées dans les milieux de gauche de " lois scélérates".

Cette loi vise particulièrement la presse anarchiste. En effet elle punit désormais de prison, non seulement la provocation, u même non suivie d'effet ", au vol, meurtre, incendie, ou désobéissance militaire, mais aussi la provocation indirecte, c'est-à-dire l'apologie de ces crimes.

Une deuxième loi, quatre jours plus tard, étendait considérablement la notion d' "association de malfaiteurs".


Ces lois, prétendument destinées aux terroristes, sont, en réalité, la réponse des gangsters bourgeois à la montée du mouvement ouvrier.





Deux ans plus tôt, le 1er mai 1891, les assassins bourgeois avaient montré leur véritable visage, le visage des barbares Versaillais :

Le 1er mai 1891 reste une date inoubliable : c'est l'affreuse journée de Fourmies. La population ouvrière avait coutume de fêter le Mai fleuri qu'on allait cueillir, puis planter sur la place où l'on dansait, selon les traditions de la région les ouvriers se proposaient de fêter le renouveau par une matinée théâtrale et un bal. Les industriels avaient refusé de fermer les usines ce jour-là, et ils avaient demandé au gouvernement d'envoyer deux compagnies d'infanterie et des renforts de gendarmerie. Dans l'après-midi, sur la place de l'église, des enfants, des jeunes gens et des jeunes filles s'avancent, curieux de voir les soldats. En tête, une jeune fille de dix-huit ans, Maria Blondeau, tenant en chantant une branche de gui au-dessus de sa tête. Le commandant Chapuis ordonne de tirer. Ainsi que d'autres, Maria Blondeau tombe sous les balles ; elle a tout le haut du crâne emporté. Au bruit de la fusillade, l'abbé Margerin, le curé de Fourmies, accourt. Il emporte dans ses bras une jeune fille de dix-sept ans ; puis il s'avance vers la troupe et supplie le commandant Chapuis de cesser le feu : "Ah ! je vous conjure, ne tirez plus, voyez ces cadavres..." Et le commandant répond : "Je ne demande pas mieux"
ÉDOUARD DOLLÉANS Histoire du mouvement ouvrier p. 36 -37 faisant des citations de A. ZEVAÈS La fusillade de Fourmies (Bureau d'éditions)

C'était la réponse de la bourgeoisie à la colère des ouvriers. La corruption des politiciens apparaissait au grand jour : "150 députés figurent parmi les chèquards ; la plupart des journaux ont touché". Et le 11 juin 1891, le garde des sceaux, Fallières confiait "à Gaston Boissier sa satisfaction d'avoir vu choisi un juge d'instruction qui met cinq ans à instruire la plus petite affaire" (DOLLÉANS p. 36). Depuis 1887, le scandale de Panama montrait en pleine lumière le degré de corruption de la quasi-totalité de l'appareil politique de la bourgeoisie. A cette époque, ils n'avaient pas de Clairstream, pas d'îles Cayman, pas de paradis où cacher les magots qui leur sont versés par les capitalistes.

La réponse des ouvriers et de la classe formoise scandalisée fut l'élection, en août 1893, de 50 députés socialistes. Ce coup de tonnerre dans le ciel bleu du gangstérisme capitaliste allait rendre nécessaire une riposte efficace. Cette riposte, cette réponse, est devenue d'une banalité tellement affligeante que les observateurs des crimes d'Action directe et de leurs modèles allemand et italien de la Fraction Armée Rouge" et des "Brigades Rouges"

On va retourner lire Alain Sergent. Mais pas dans l'ordre de son exposé : on va passer directement aux pages les dernières, celles où il révèle la "clé de l'énigme" : les coulisses de l'attentat commis par Auguste Vaillant. Un anarchiste intelligent a flairé la magouille :




"Dans ses souvenirs de police, Ernest Reynaud a donné un singulier crédit aux propos de l'anarchiste. En 1893, il était secrétaire du commissaire de police . Dresch, qui s'était distingué en arrêtant Ravachol, et se trouvait ainsi au courant de bien des secrets. Reynaud raconte qu'à la suite du scandale panamiste, le parti gouvernemental chercha un sauveur pour mater la poussée anarchiste qui trouvait enfin audience dans le public, écœuré par ce procès retentissant. Charles Dupuy devint président du Conseil, et l'on crut voir en lui l'homme énergique capable de sauver la situation. Il eut une conférence avec Puybaraud inspecteur général au ministère de l'Intérieur, homme habile et rusé, qui tirait bien des ficelles dans une pénombre propice. "Je m'engage à vous délivrer rapidement des anarchistes, si vous faites voter certaines lois restreignant la liberté de la presse et celle d'association, assura Puybaraud mais je me déclare impuissant avec la législation actuelle qui permet l'appel au meurtre, la propagande pour la dynamite, l'association des pires éléments. Il faut mettre les anarchistes hors la loi, et revenir au délit d'opinion.
- Le difficile est de trouver une majorité pour voter ces nouvelles dispositions ", dit le président, pensif.
Cette majorité, il suffirait de l'attentat de Vaillant pour la trouver. Or, on constate que peu après cette conversation entre le président du Conseil et Puybaraud, celui-ci devenait, à la surprise générale, directeur des recherches à la préfecture de police. Et que la bombe jetée par Vaillant suivait de peu cette nomination, semblant justifier ainsi les accusations de Jacot. Il est certain que l'affaire Vaillant laisse une impression de malaise, d'escamotage. L'anarchiste est d'abord soumis à un isolement insolite, comme si l'on craignait qu'il ne fasse quelque révélation dangereuse.
Sur les murs de la Santé, on peut lire cet avertissement menaçant :



" Il est strictement interdit à tous les employés et gardiens de la prison d'adresser la parole, sous quelque prétexte que ce soit, au détenu 23 de la IV° division, ni d'essayer de satisfaire un sentiment de curiosité en s'approchant de cette cellule. Toute infraction à cette consigne sera punie de la révocation immédiate, "
L'avocat choisi par Vaillant est Me Jean Ajalbert qui deviendra ensuite l'un des Goncourt, Et il en est prévenu d'une telle façon que sa conscience se révolte, et qu'il écrit au procureur générai : " J'ai l'honneur dc vous avertir que je ne me présenterai pas à l'audience des assises du 5 janvier pour assumer une responsabilité qu'il ne me convient point d'encourir, puisque la défense ne saurait être là qu'un simulacre de défense. La lettre du juge d'instruction Mayer qui m'avertit est datée du 23, mais n'a été mise à la poste que le 27 au soir. Et la date de comparution est fixée au 5 janvier !"
L'avocat ajoute que cette date est d'autant plus anormale qu'un rapport médical constate que Vaillant, blessé par sa bombe, ne pourra être transporté hors de sa cellule avant quinze jours.
Malgré les fêtes, l'instruction a été bâclée avec une telle hâte que Vaillant comparaît devant les assises le 10 janvier, tout juste un mois après son attentat."



L'imbécile Auguste Vaillant, après une tentative installation en Argentine qui tourna au désastre absolu revint en France. Si ses lettres écrites depuis le Chaco révèlent sa capacité de mythomane à mentir en décrivant un paradis inexistant, ses actes suivants vont révéler son arrogance imbécile à vouloir faire l'histoire en héros. Sur son chemin il croisa un "curieux" anarchiste qui lui prêta cent francs. Ce curieux "anarchiste cambrioleur, un de ceux qui pratiquait déjà la reprise individuelle" sera le même qui lui conseillera de ne pas utiliser des balles dans sa bombe, mais des clous. Ce provocateur policier comme il en pullule dans les eaux de l'anarchisme et des organisations des prétendus héros de la lutte des classes* organisait méticuleusement son plan. Et le 9 décembre 1893, le crétin Auguste Vaillant, marionnette du capitalisme pourrissant, marionnette de Puybaraud, l "inspecteur général au ministère de l'Intérieur, homme habile et rusé, qui tirait bien des ficelles dans une pénombre propice", arriva à la Chambre des députés avec sa bombe à clous. Il lance son engin criminel et

"Des députés arrachent les projectiles, des clous de trois centimètres, qui se sont plantés dans leur corps ou leur visage; le général Billot, membre du Conseil supérieur de la Guerre se relève en titubant, tandis que l'abbé Lemire reste étendu, sanglant. Sur sa face, le sang ruisselle, et des morceaux de fer-blanc incrustés dans le front lui font comme une couronne..." (Alain Sergent p. 68 )

Mais il existe des gens intelligents dans les rangs des libertaires. Hier comme aujourd'hui. Tous ne réagirent pas comme les crétins de la bande dessinée qui illustre cet article, bande dessinée d'imagination. Il existait à l'époque des libertaires raisonnables, qui devinrent syndicalistes révolutionnaires pour la plupart. Le sort ultérieur de l'anarchiste Jacot ne nous est pas connu, mais sur les activités criminelles et imbéciles d'Auguste Vaillant, c'est lui qui eu le dernier mot de l'histoire. Il prit la parole le jour suivant le vote des deux lois scélérates par les corrompus politiciens :

* * * * *

"Le lendemain, dans un petit bistrot de la porte Clignancourt, que fréquentent des ouvriers révolutionnaires, un petit groupe écoute discourir l'anarchiste Jacot :
"Voilà le premier résultat positif de la bombe, et cette loi n'est
que la première d'une série qui va réduire la classe ouvrière à peu de chose. Tout cela était magistralement combiné par la police pour pouvoir sévir contre nous, les libertaires. Je connais l'histoire depuis le début, on a manœuvré le pauvre Vaillant, je peux citer les noms. La préfecture est trop bien renseignée par les mouchards qui s'infiltrent chez nous, elle a su tout de suite que Vaillant voulait commettre an attentat. Le fameux cambrioleur anarchiste qui lui a donné cent francs, on serait bien en peine
de citer son nom réel. C'était un policier camouflé, qui a suggéré à notre pauvre camarade l'idée de s'attaquer à la Chambre, mais en utilisant des clous dans sa bombe, sous prétexte qu'en
employant des balles, il aurait l'air d'un assassin."
Le lendemain même, Jacot est coffré à la Santé sous le premier prétexte venu, et il n'en sortira qu'après la condamnation de Vaillant."
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Je découvre post scriptum 17/11 20:30 que l' "anarchiste Jacot" s'appelerait Charles Jacot et aurait publié un livre décrivant ces provocations.

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NOTES

*Les organisations révolutionnaires de type bolchevique ne sont pas vaccinées contre les mouchards, mais le sérieux de leurs activités contraint les mouchards éventuels à travailler pour la cause de la révolution comme le firent les crapules infiltrées de l'Okhrana tsariste : ils connaissent l'organigramme mais en étant contraints de travailler en faveur de la révolution. Quant aux provocateurs du type de celui dénoncé par Jacot, le refus des élèves du marxisme de l'action héroïque individuelle retire à la bourgeoisie fascisante des prétextes qu'elle peut trouver dans les assassinats des Rouillan et des Vaillant de tous poils, comme dans les sabotages des crétins du jour.

**La BD qui illustre ce texte est écrite par Emmanuel Moynot (avec Dieter pour le chapitre 3), Le temps des bombes, aux éditions Delcourt. Sous une forme narrative les personnages figurent une sorte de medley de trois attentats terroristes commis en 1893 et 1894 : la bombe d'Auguste Vaillant en 1893, celle d'Émile Henry déposée au café Terminus de la gare Saint Lazare, le 12 février 1894 et l'assassinat de Sadi Carnot, le 24 juin 1894 par l'anarchiste Caserio.

On découvre ce que pouvait être la psychologie de certains imbéciles anarchistes qui confondaient construction de l'avenir, gangstérisme de cambrioleurs et assassinats terroristes en tant que provocations freinant et sabotant les véritables luttes collectives.

Une sorte d'humanité transparaît des personnages de Moynot, on voit surtout - et c'est au mérite de l'artiste - des sortes de fourrageurs imbéciles, déconnectés des véritables souffrances des masses et agissant pour reculer dans l'avenir l'avènement d'une véritable nouvelle société : leurs communautés prouvent qu'ils tournent le dos à la construction sociale collective.

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